Un territoire contrasté à la recherche d’un équilibre
entre développement économique et préservation de l’environnement.
De cette palette de couleur, le gris et le vert évoquent plus particulièrement l’histoire récente de l’estuaire. La période grise correspond à celle des ingénieurs, qui, à partir de 1750, cherchent à domestiquer la nature, améliorer la navigabilité, faire entrer l’estuaire dans l’ère industrielle. La période verte s’ouvre à partir des années 1980 lorsque se met en place le processus de métropolisation qui invite à la connaissance et à la valorisation globale de l’estuaire. En témoignent trois événements emblématiques : la redécouverte de Jean-Jacques Audubon, naturaliste de renommée internationale qui a passé son enfance à Nantes et à Couëron ; la réapparition de l’Angélique des estuaires, plante qui symbolise discrètement la reconquête du fleuve ; et la nouvelle vie du canal maritime de la Basse-Loire qui acquiert une dimension patrimoniale et s’ouvre à des activités de plein air.
Environnement et patrimoine
La richesse patrimoniale de l’estuaire s’exprime également à travers les 40 000 hectares de zones humides qui, outre leur indéniable intérêt floristique et faunistique, racontent la grande aventure humaine de l’aménagement hydraulique des marais de l’estuaire depuis le Moyen Âge.
Après la Camargue, l’estuaire de la Loire fait partie des principales zones humides en terme de superficie. Avec plus de 700 espèces de plantes et près de 230 espèces d’oiseaux, les marais de Loire donnent à l’estuaire un statut de « monument écologique ». Parmi les espèces emblématiques et protégées, on trouve la Cigogne blanche, la Rousserolle effervatte, la Loutre qui font l’objet de soins particuliers (comptage, baguage, etc.), la Fritillaire pintade, très belle plante colorée en damiers pourpres et blancs appartient quant à elle à la flore rare et menacée de l’estuaire…
Les eaux de l’estuaire de la Loire ont toujours livré une importante richesse, élément majeur dans l’alimentation des populations riveraines puis précieuse marchandise avec l’avènement du commerce fluvio-maritime. Si l’estuaire fournit des poissons d’eau douce, les « poissons blancs » (brochet, sandre…), la pêche a, de façon séculaire, toujours été fondée sur l’exploitation des poissons migrateurs traversant les océans, pour venir se reproduire, grandir ou mourir dans l’estuaire : mulets, anguilles et son alevin la civelle, aloses, lamproies, saumons…
Les marais, telle une longue écharpe verte qui s’enroule autour des cheminées rouges et blanches de la Centrale de Cordemais, sont des territoires aménagés, artificialisés. L’homme les a aménagés pour l’élevage et la production fourragère. L’eau circule suivant un jeu subtil de portes, de vannes, de clapets. Les marais, enjeu majeur de la biodiversité estuarienne, demeurent fragiles et réclament des soins constants qui sans l’intervention de l’homme disparaîtraient.
Bien que la réalité actuelle de l’estuaire de la Loire et sa richesse patrimoniale fournissent un matériau très riche pour appréhender l’identité de ce territoire, la compréhension de l’estuaire et la prise de conscience des enjeux patrimoniaux, qui lui sont liés, demandent une éducation du regard, des clefs de lecture pour donner à voir autrement un espace qui entre Nantes et Saint-Nazaire demeure encore fort mal connu.
Une histoire liée aux activités portuaires
La situation privilégiée de ce territoire a déterminé la fonction portuaire d’un site qui est aujourd’hui le quatrième port de France, le premier de la façade atlantique, avec un trafic de près de trente-cinq millions de tonnes de marchandises par an.
Longtemps, en raison des navires utilisés, les villes ports de fond d’estuaire ont été favorisées. Dès l’époque gallo-romaine, Nantes mais également Rezé sont des ports. Au Moyen Âge, Nantes est active, ainsi que des ports d’étier qui sont autant d’avant-ports de Nantes disséminés le long de l’estuaire. L’évolution de la taille des navires et de leur tirant d’eau bouleverse bientôt les données au profit des ports proches des embouchures. Dès le XVIe siècle, les plus gros navires chargés de cargaisons destinées à Nantes débarquent leurs marchandises à Couëron alors que Paimbœuf s’impose au XVIIIe siècle. Mais les efforts constants pour aménager l’estuaire et sa navigabilité jusqu’à Nantes se révèlent insuffisants à partir du XIXe siècle et plus encore au XXe siècle où s’affirment alors les sites proches de l’embouchure : Saint-Nazaire, Donges, Montoir.
Une autre dimension portuaire est à prendre en considération pour comprendre l’identité de ce territoire, celle des « petits ports ». Tel est le nom donné par les ingénieurs des Ponts et Chaussées au xixe siècle aux ports d’étier que l’on trouve en bordure de rives depuis Ancenis jusqu’à l’embouchure du fleuve. Pour la plupart, ils subsistent à l’état de relique ( Rohars, Port-Launay, Port-Lavigne…), d’autres ont même été entièrement fossilisés par les alluvions. Le port d’étier était un élément important du paysage estuarien car il symbolisait le lien étroit qui unissait l’arrière-pays au fleuve.
L’estuaire industriel
Les chantiers nazairiens sont les héritiers d’une longue tradition métallurgique représentée, notamment, par deux usines situées au bord du fleuve : celle d’Indret (DCN) date de 1777 et celle de Basse-Indre (Arcelor packaging international, anciennement les Forges) de 1821.
Dans le prolongement du commerce colonial, se sont développées les industries nantaises de la raffinerie de sucre, de la biscuiterie, les industries agro-alimentaires… L’accroissement est tel qu’à partir des années 1880, l’estuaire fait figure de complexe industriel, aspect qui marque désormais le paysage d’une manière indélébile tant par ses usines que par ses friches industrielles.